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15/05/2009

LE CAUCHEMAR DU PILON

Je croyais que c'était le titre d'un roman

 

Mais non

Comment les livres deviennent des boîtes à pizza

 

Chaque année, en France, des machines broient 100 millions de livres dans des usines sous haute surveillance. L'écrivain Pierre Jourde a assisté, à Vigneux-sur-Seine, à ce théâtre de la cruauté. Il raconte

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Septembre, saison des feuilles imprimées. 700 romans paraissent. Parmi eux, un a la chance de retenir l'attention des médias. L'auteur est déjà connu. L'éditeur mise sur lui, n'hésite pas à se lancer dans de gros tirages, mobilise les chroniqueurs amis. Les piles s'entassent dans les Fnac. C'est un récit puissamment original, c'est une autobiographie bouleversante. L'auteur le signe dans des Salons du Livre, entouré de la déférence des lecteurs et des attachés de presse.

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Mi-octobre, six semaines plus tard, loin de Saint-Germain-des-Prés. Les prix littéraires ne sont pas encore décernés. Un poids lourd descend une rue de Vigneux, entre Ville neuve-Saint-Georges et Orly. Arrivé aux lisières des cités que l'on appelle «sensibles», il franchit les portes d'une entreprise spécialisée dans le recyclage de matériaux. Le camion décharge une benne remplie de 10 tonnes de livres. 10 tonnes de livres roulent sur le béton comme 10 tonnes de pommes de terre. N'importe quels livres, en vrac. Pêle-mêle, des biographies du président de la République encore chaudes, des chroniques des jeux Olympiques de Pékin, des cahiers de devoirs de vacances, des romans de présentateurs de télévision écrits par des mercenaires, des livres pour enfants, des fiches cuisine, des encyclopédies. Dans le tas, 10 000 exemplaires de la bouleversante autobiographie. 10 000 fois l'objet unique, le précieux reliquaire des aveux intimes et des pensées délicates. Un bulldozer pousse les 10 tonnes de mots sur un tapis roulant. Le tapis roulant les monte vers le cylindre de la broyeuse, qui les avale. Ils disparaissent. On entend le bruit des roues dentées qui les déchirent. Fini les simagrées.....

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A l'autre bout de la chaîne digestive sort un ballot compact d'un mètre sur un mètre. Il est composé d'un amas de pages lacérées. On reconnaît «le Suédois sans peine», «En forme grâce aux plantes», «Baisers brûlants», «Youki contre les martiens». Et ici, sortant à demi du paquet, morceau d'entrailles échappant d'un ventre? Un bout de page de l'autobiographie bouleversante, qui bavarde tout seul, dans le tas de paroles mortes.

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Tel est le pilon. Pilon: un mot qu'on ne prononce jamais entre les murs d'une maison d'édition. Il existe, mais on ignore où il se trouve, comment se déroulent les opérations. L'écrivain préfère ne pas savoir. Les livres disparaissent en douce, comme on liquide des condamnés au fond de cachots discrets. Et l'on surveille de près le trajet des ouvrages vers leur destruction. Au départ, l'entreprise de recyclage laisse une benne dans les entrepôts du distributeur. Celui-ci la remplit progressivement, avec des livres trop longtemps stockés et que plus personne ne demande, des tirages excessifs ou encore des ouvrages présentant un défaut de fabrication. Souvent, le distributeur déverse dans la benne des palettes entières de livres, sous leur film plastique intact.

 

Vous commandez une pizza. Vous la sortez du carton, jetez celui-ci. Vous ignorez que vous venez de mettre à la poubelle l'autobiographie déchirante, dans la première de ses réincarnations. Le papetier qui a acheté les cubes de livres pilonnés les a fondus dans ses bains chimiques pour en tirer des cartons à chaussures, des cahiers, des emballages, du papier journal. Lesquels reviendront à leur tour dans le cycle des métempsycoses. La poésie confidentielle et la littérature alimentaire nourrissent indifféremment cette industrie.....

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Lu, dans un nouvel obs, qui trainait dans une salle d'attente....


23:28 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : livres le pilon

Commentaires

C'est marrant ! Mais véritable.

Au fait j'attendais "Max et les ferrailleurs" lol

Écrit par : alsacop | 16/05/2009

"Max et les ferrailleurs" j'aime beaucoup

Écrit par : noelle | 16/05/2009

Oui, j'avais lu cet article qui m'avait beaucoup troublée.

Écrit par : Rosa | 17/05/2009

je l'ai vraiment relu , pour savoir si c'était vrai!

Écrit par : noelle | 17/05/2009

Quelle horreur!

Déjà, les pizzas n'étaient pas mon truc mais alors là.

j"aurais pas du lire ta Note ce soir...

Je vais aller voir l'Iris.

Bises.

Écrit par : LP | 17/05/2009

Oublié de te dire que j'adore la dernière photo.

Redonne espoir!

Écrit par : LP | 17/05/2009

Mais oui c'est vrai.
ashab, mon ami libraire; vous expliquerait comment ça se passe.

En fait les éditeurs gagnent de l'argent en imposant leurs nouveautés aux libraires, ce qui leur fait de la trésorerie et peu importe que les livres se vendent ou non.
Pour le pilon, c'est très surveillé : pas question d'essayer de récupérer un livre destiné au pilon !

Écrit par : Rosa | 17/05/2009

Rosa, Nono....Vous vous souvenez de "Fahrenheit 451" ?

Écrit par : alsacop | 17/05/2009

je me souviens, mais je n'ai pas vu le film ni lu le roman, et toi?

Écrit par : noelle | 18/05/2009

Lu (je ne me souviens plus de l'auteur, anglais ? ou américain ? ) et vu en salle...dingue de Truffaut.

Film à voir ou revoir!

Écrit par : alsacop | 19/05/2009

Les commentaires sont fermés.