21/12/2010
De nulle part et d'ailleurs, l'insolite nostalgie des Roms
Venus du nord de l'Inde au fil d'une longue migration, ils sont présents en Europe depuis six siècles, peut-être même davantage. Et, depuis presque le début, ils sont objets de méfiance, de rejet, et par moments (fréquents) de persécution. « Il n'y a pas beaucoup de gens qui se trouvent moins bien qu'un Gitan », écrit le poète Alexandre Romanès dans son dernier recueil.
On les désigne sous divers noms, selon l'époque et selon leur provenance : Bohémiens, Égyptiens, Romanichels, Manouches, Gitans, Tziganes, Roms. Cette pluralité de noms est déjà un signe de leur éparpillement et de leur diversité, et en conséquence de la difficulté à les identifier précisément. Mais pas de les désigner comme boucs émissaires de la plupart des maux surgissant dans nos sociétés. La répression exercée à leur encontre est aussi ancienne que variée, allant de l'esclavage à l'extermination en passant par les humiliations, l'incarcération, le bannissement, la stérilisation eugénique, l'arrachement des enfants à leurs familles, l'assimilation forcée.
Quelques rappels : en 1682, Louis XIV ordonne que tous les hommes bohémiens soient condamnés aux galères, sans procès et à perpétuité, que leurs femmes soient rasées, et séparées de leurs enfants, tous expédiés dans des hospices. Le Roi-Soleil a commis plus d'une éclipse de grandeur au cours de son règne. Au siècle dit desLumières, les philosophes n'ont pas davantage brillé sur la question des Bohémiens, définis dans un article de l'« Encyclopédie » comme une « espèce de vagabonds déguisés […] sous des habits grossiers », mystificateurs et voleurs. En 1802, plusieurs centaines de Bohémiens du Pays basque sont emprisonnés dans le but de les déporter en Louisiane ; le projet échoue, mais la mise au rebut continue. Des tentatives de sédentarisation forcée sont faites au XIXe siècle, qui toutes échouent. Autant essayer de sédentariser des criquets pèlerins, des caribous, des hirondelles ou des baleines. « Dans l'univers, tout bouge, pourquoi nous on ne bougerait pas ? » demandait Alexandre Romanès dans un récent entretien radiophonique.
Au XXe siècle, la science vient renforcer les politiques de répression des gens du voyage : l'eugénisme et le souci de « protection de la race » préparent le terrain à leur internement dans des camps de concentration dès 1940, puis à leur déportation massive vers des camps d'extermination à partir de 1942. On estime entre 50 000 et 80 000 le nombre des Roms d'Europe morts sous le nazisme. À présent, c'est le retour de la méthode, évidemment non comparable, du débarras de ces éternels indésirables par expulsion.
Mais à quel bercail renvoie-t-on les Roms, pour les y parquer, quand on les chasse ? Un bercail administratif (et en général hostile), dont ils ne veulent pas. Car, « fait peut-être unique parmi les peuples, ils ne rêvent pas d'une patrie », note Isabel Fonseca dans son beau livre consacré à l'odyssée des Tziganes. La nostalgie qui les habite et les anime est insolite : c'est une nostalgie de nulle part et partout, un constant désir d'ailleurs, de mouvement. « O lungo drom. Le long chemin. »
Il ne s'agit pas ici de faire de l'angélisme au sujet des Roms qui veulent à tout prix rester un peuple à part, sans confusion avec le monde « gadjikano » (non gitan), car leur volonté de préserver leur mode de vie ancestral implique des règles rigides, certaines très dures, au sein du groupe, et d'avoir presque partout perdu la possibilité d'exercer leurs métiers traditionnels compatibles avec le nomadisme les contraint à vivre d'assistanat social et d'expédients en tout genre, qui parfois posent problème. Mais la stigmatisation en bloc de cette communauté et le renvoi de ses membres par milliers hors du territoire français ne sont aucunement une solution, et les sommes colossales dépensées pour ces expulsions (entre 200 et 250 millions d'euros pour une année) pourraient être investies dans des projets plus judicieux les concernant.
sylvie germain
romancière
06:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : la chronique du lundi, sud - ouest, l'insolite nostalgie des roms