26/12/2010
A la rencontre des âmes du monastère
24 décembre 2010 06h00 | Par didier piganeau |
A la rencontre des âmes du monastèreTibéhirine Le père Jean-Marie Lassausse gère le domaine au passé tragique. Un homme qui cultive les terres et l'esprit de partage de cette abbaye, les portes grandes ouvertes
Le père Lassausse dans le jardin du cloître à Tibéhirine, à une centaine de kilomètres d'Alger, au bout de la chaîne de l'Atlas : « Le monastère reste un lieu de rencontre ». PHOTO D. P.
Envoyé spécial à Tibhirine
Le film, il l'a vu sept fois, et chaque fois avec la même émotion. Le père Jean-Marie Lassausse a été lui aussi conquis par « Des hommes et des dieux », de Xavier Beauvois. « C'est prenant, bouleversant… et, surtout, il décrit parfaitement ce rapport que les moines avaient avec les Algériens. » On passera sur quelques détails nés de l'imagination du réalisateur mais qui, selon le père Lassausse, ne faussent en aucune manière l'esprit de Tibéhirine. Car si le prêtre français parle avec autant d'assurance du monastère de Tibéhirine (ou Tibhirine), c'est qu'il en est en quelque sorte le gardien.
Jean-Marie Lassausse est arrivé en Algérie en 2000, après différentes missions dans plusieurs pays arabes. Le prêtre-ouvrier est officiellement en poste à Alger au service d'accueil de la maison diocésaine mais passe quatre jours par semaine au monastère, à une centaine de kilomètres de la capitale.
Avec l'aide d'un laïc bénévole français, Jean-Paul Siméon, un enseignant à la retraite de Saintes, il s'occupe des 7 hectares du domaine, au bout d'un village, au bout de la chaîne de l'Atlas, à 1 000 mètres d'altitude. Deux heures de trajet que le père Lassausse effectue, à l'aller comme au retour, sous escorte policière.
Près de la mosquéeEn partant d'Alger, l'autoroute vous abandonne à Blida. Le taxi s'engage alors sur la route de Médéa, route en perpétuels travaux qui serpente au fond d'une interminable vallée dans le Parc national de Chréa avant de grimper jusqu'à la ville, à près de 900 mètres d'altitude. À la sortie de Médéa, sur la route de Djendel, un vieux panneau aux lettres délavées indique la direction du village de Tibéhirine, caché dans la montagne à 5 ou 6 kilomètres.
Au carrefour, les militaires surveillent les allées et venues des rares voitures et examinent scrupuleusement les passeports des étrangers. La politesse des soldats s'accompagne de sourires convenus. La chaussée défoncée traverse le bourg poussiéreux de Tibéhirine avant de se terminer au sommet d'une colline.
À gauche se trouve la mosquée encore en chantier, à droite, une grosse bâtisse du XIXe siècle en partie cachée par les grands arbres d'un jardin fermé par un mur. Au-dessus de la porte d'entrée à la peinture verte écaillée, une discrète petite croix sculptée dans la pierre.
Un verre d'eauLa porte se pousse avec émotion. C'est un silence troublant, presque dérangeant, qui vous accueille dans ce jardin à la végétation un peu folle, sous l'œil de la statue de Notre-Dame de l'Atlas.
Le père Lassausse, en bleu de travail, s'accorde une pause et partage un verre d'eau avec son visiteur, comme le veut la tradition. Le soleil et les températures exceptionnelles de ce début décembre lui ont permis, avec Jean-Paul, de travailler au verger. C'est la plus importante source de revenus de l'abbaye. « Avec quelque 2 500 arbres fruitiers sur le domaine, il y a de quoi s'occuper », plaisante-t-il (1).
Mais sa présence dans ce lieu, qu'il se refuse à entretenir comme un sanctuaire, ne se résume pas aux tâches agricoles. Comme les moines martyrs, sans prosélytisme, il maintient le dialogue avec les musulmans et, d'une manière générale, avec les Algériens. « Tibéhirine est un monastère ouvert, nous le maintenons comme un lieu de rencontre… »
Le jardinier de Tibéhirine cultive aussi les âmes et les bonnes relations de voisinage avec les villageois de Tibéhirine. « Mais aussi avec les autorités locales, les cadres administratifs, les services agricoles de la wilaya (NDLR : l'équivalent de notre préfecture), etc. Les villageois sont mes protecteurs », assure le père Jean-Marie Lassausse.
Jamais un muséeQuand il évoque le souvenir des frères enlevés et assassinés dont les têtes reposent dans le petit cimetière sous les arbres, en contrebas du monastère, c'est sans nostalgie, sans tristesse ; un peu comme s'ils étaient encore présents… Du reste, ils le sont toujours un peu.
Après le drame de 1996, deux tentatives d'implantation de nouvelles congrégations religieuses eurent lieu. D'abord des cisterciens, en 1998, qui sont restés trois ans. « Il y a eu des difficultés pour construire une communauté internationale ; impossibilité de s'installer à demeure à Tibéhirine, deux années après le massacre des frères », analyse Jean-Marie Lassausse. La deuxième n'a pas eu davantage de succès : « Il s'agissait d'une communauté cloîtrée qui s'est vite rendu compte qu'elle n'était pas adaptée à la vocation de Tibéhirine, c'est-à-dire l'ouverture sur la société. »
Quel est l'avenir de ce monastère planté au bout du monde en haut de sa colline et chargé d'un passé aussi lourd ? « Je ne sais pas s'il y aura à nouveau des frères, mais une chose est certaine, l'abbaye ne sera jamais un musée, toujours un lieu de rencontre, comme avec les frères… ».
(1) Jean-Marie Lassausse est l'auteur d'un livre, « Le Jardinier de Tibhirine » (Bayard), dans lequel il raconte le présent du monastère.
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