27/05/2012
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Ce billet de Sylvie Germain , romanciere
La « nomophobie », une névrose du siècle
Un nouveau vocable vient de faire son entrée dans les médias : « nomophobie ». Le mot semble savant, composé d'éléments grecs - « nomos », qui signifie « ce qui est attribué en partage, ce que l'on possède, l'usage, la coutume, la loi », et « phobia », dérivé du radical « phobos », qui désigne « une fuite dans la précipitation, le chaos, due à une peur intense et irraisonnée ».
S'agit-il d'une terreur ou d'une aversion instinctive à l'égard de toute norme sociale, morale, juridique ? Le nomophobe est-il saisi d'une épouvante irrépressible face à la loi, comme le claustrophobe l'est par les lieux clos, l'agoraphobe par l'espace, l'acrophobe par les hauteurs, le photophobe par la lumière, l'anémophobe par le vent… et le phobophobe par la crainte obsédante d'être atteint d'une phobie ? Une telle violente allergie aux règles et aux devoirs existe assurément, quelques individus en radicale rupture de ban en donnent des exemples plus ou moins graves ; les plus atteints s'exilent dans un recoin perdu, ou finissent internés.
Mais je fais fausse route, la nomophobie ne concerne pas du tout la loi, le premier élément de ce mot ne vient pas du grec, il résulte de la contraction de mots anglais : « no mobile phone phobia ». La phobie en question (à très forte teneur en panique, en angoisse, en détresse) porte donc sur la perte possible d'un objet. Mais quel objet ! Le smartphone (appelé « téléphone intelligent » par les Québécois, toujours soucieux, et avec talent, de sauvegarder la saveur de leur langue) est un objet-soi, un objet-monde, un objet-roi. Il est un objet-soi puisqu'il contient dans ses minuscules entrailles hautement sophistiquées une grande part de la vie de son propriétaire, il est le dépositaire de sa mémoire récente, le gérant de son temps, le gardien de ses contacts, le conservateur de ses idées, de ses messages, de ses images, le trésorier de ses goûts musicaux et visuels, le pourvoyeur de ses jeux préférés, le dispensateur de toutes les informations dont il a besoin, le détenteur de bien de ses secrets, bancaires autant qu'amoureux.
Il est aussi un objet-monde, car il est une fenêtre perpétuellement ouverte sur le monde, tant proche - qu'il peut photographier, filmer, et où il peut s'orienter à loisir grâce à son GPS intégré - que lointain, qu'il peut inspecter en zigzaguant à vive allure à travers tous les continents. Un objet-roi, qui donne à son possesseur le don d'ubiquité, une illusion d'omniscience et un sentiment réconfortant d'être soutenu par un réseau de fils multiples et fluides qui le relient en permanence aux autres, particulièrement à ses intimes, à tout instant joignables.
Un objet-magique, qui nous transforme en araignées souveraines trônant au centre d'une toile illimitée sans cesse parcourue de flux d'énergies, d'informations en tout genre, et irriguée par à-coups d'exquises décharges d'adrénaline. Un objet-divin, en quelque sorte. Une idole protectrice, maternelle, un cocon à la fois planétaire et très personnel. Comment, en effet, supporter l'idée d'en être soudain privé, pour cause de panne, de perte ou de vol ?
Le nomophobe, donc, redoute de voir trancher le merveilleux cordon ombilical qui le connecte au monde, et finalement à lui-même, puisqu'il a thésaurisé sa vie dedans. D'après une récente enquête réalisée au Royaume-Uni, 66 % des personnes interrogées s'avouent nomophobes, avec un pic chez les plus jeunes ; le pourcentage est un peu moindre en France, mais le taux va croissant partout, et il ne fera qu'augmenter au rythme du perfectionnement de la technologie.
La nomophobie se révèle une des grandes névroses de ce siècle, et déjà elle mobilise un arsenal d'analystes et de soignants. Alors, pour nous protéger de cette pandémie, tâchons de rivaliser de jugement et de sagacité avec notre « téléphone intelligent », de ne pas lui céder toute notre mémoire, notre pensée, notre curiosité, de ne pas lui confier tous nos désirs, nos attentes et nos secrets.
À chacun d'instaurer sa propre « loi », anti-phobie et anti-dépendance. Autonomophilie ?
Pour l'instant , je suis sauvée ! pas de smarphone , juste un portable au fond du sac....
Il y a une photo du smarphone de Jean -Noel....
06:00 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : la « nomophobie », une névrose du siècle