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08/08/2009

Z

z.jpg”Z et Costa-Gavras à Athènes, quarante ans après” le blog de Pierre Assouline

Merci à Louis-Paul pour ce lien

Ils sont vivants !

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Faut-il avoir été marqué par un film pour se réunir entre passionnés afin de le revoir pour la énième fois et communier ainsi dans son culte ? On dira que les cinéclubs, ou ce qu’il en reste, en ont l’habitude. Sauf que les quelques centaines de spectateurs privilégiés invités le soir du 1eravril dernier à l’Institut français d’Athènes avaient, eux, le doux sentiment de participer à un grand moment. De ceux qui ne s’étaient jamais produits et qui ne se reproduiront plus. L’ambassadeur de France Christophe Farnaud ayant formé le projet de célébrer les quarante ans de Z, il mit tout en œuvre pendant des mois pour le faire aboutir. La nouvelle se répandit, tout le monde répondit présent et chacun voulut en être. Ce qui aurait pu être une cérémonie pesante car protocolaire fut un instant de grâce dans une atmosphère toute de légèreté marquée par la joie des retrouvailles. Dans un auditorium bondé d’amis, d’intellectuels, de journalistes, de cinéphiles mais aussi d’ambassadeurs, de ministres et de secrétaires d’Etat, un casting rêvé fixa les photographes sur le premier rang où se tenaient cote à cote le compositeur Mikis Théodorakis, qui ne sort que deux fois par an tant il a de difficultés à se mouvoir, l’actrice Irène Papas qui incarnait à l’écran la veuve du député assassiné, le juge Sarzetakis légèrement moins connu en France que son double Jean-Louis Trintignant bien qu’il devint par la suite président de la République hellénique, ainsi que l’actuel président Karolos Papoulias. Tous venus écouter le récit de l’invention de Z,

tant le film que p1020067.1238778699.JPGle livre (traduit du grec par Pierre Comberousse, 384 pages, Folio) qui l’inspira, par leurs auteurs, dialoguant sur scène, le réalisateur Costa-Gavras et l’écrivain Vassilis Vassilikos. Une œuvre lourde à porter : « J’ai écrit une centaine de livres en tous genres depuis mais hors de Grèce, on me ramène toujours à Z ! se lamentait l’un tandis que l’autre avouait avec autant de malice : « Moi, ça ne me dérange pas qu’on m’en parle tout le temps… » citant de glorieux précédents (Citizen Kane avec Orson Welles, Le Parrain avec Coppola…). Le romancier ne se fit pas prier pour passer aux aveux, adressant un clin d’œil complice à l’ancien juge Sarzetakis lorsqu’il révéla que celui-ci lui avait passé tous les dossiers de l’instruction de l’affaire Lambrakis pour écrire son livre trois ans après : « Alors la forme s’est imposée car j’étais sous l’influence du De Sang-froid de Truman Capote, même si Z est un western politique doublé d’une histoire policière. Bêtement, je donnais le nom du coupable dès le début ! Ceux qui ont fait le film ont eu la bonne idée de tout renverser ». Leur autre bonne idée aura été de ne l’helléniser que par des clins d’œil (la bière « Fix », un mot grec lâché ici ou là…) et de nommer le plus souvent les personnages par leur fonction (le Colonel, le Général, l’Avocat, le Juge…) afin d’universaliser la dénonciation d’une démocratie corrompue et rongée par le prurit de la dictature. Sinon, par son mécanisme, le film co-écrit avec Jorge Semprun, est parfaitement fidèle au livre.

Le roman comme le film ne pouvaient s’intituler autrement que Z qui signifie « il est vivant » en grec ancien. Les trois continuent de vivre quarante ans après : la grande figure de la gauche assassinée, le livre à sa gloire et sa popularisation par l’image. « Quand je pense que Montand rechignait au titre : il avait peur qu’on se moque sur le mode « Z comme Zorro » ou comme zéro… ». De la salle, Mikis Theodorakis intervint spontanément, comme s’il était au café avec ses amis, pour confirmer une anecdote évoquée par Costa Gavras :“Jacques Perrin était venu dans l’île où j’étais assigné à résidence, il m’a fait passé la demande : “Ecrivez-vous une musique pour le film !” Comme c’était impossible étant donné les conditions de ma vie quotidienne, je leur ai fait passer un paquet de cigarettes dans lequel j’avais écrit :”Vous pouvez prendre et arranger tout ce que vous voulez dans mon oeuvre“. Impossible de ne pas s’interroger également sur la résonance de Z dans un pays qui connut de violentes émeutes en décembre dernier.

Cette fois, c’est l’écrivain Vassilikos qui prit la parole :” Je suis fier de cette jeunesse-là, elle avait raison de se révolter. Mais en 1969, c’était plus facile de le faire : le camp des bons et le camp des méchants étaient clairement délimités. Aujourd’hui, on les trouve également dans les deux camps !” ce qui eut pour effet de déclencher les rires et les applaudissements d’une partie de la salle. Puis le noir se fit. Je pris place à la droite du réalisateur. Tour à tour ému et amusé, il me commenta le film en chuchotant à l’oreille. En fait, il ne l’a vu que quelques fois en quarante ans, le dernière il y a peu à New York où il est ressorti à l’occasion du 40ème anniversaire. Yves Montand ? « Bizarrement, le public l’associe à Z alors qu’il n’y apparaît que 12 minutes en deux heures. » Le discours pacifiste du député Lambrakis le soir de son assassinat ? : « Piqué au président Kennedy dans son discours le jour de son intronisation ». Le chirurgien anglais qui opère le député du cerveau ? : « Tiens, c’est Raoul Coutard, le directeur de la photo ! ». Les échauffourées entre manifestants pacifistes et fascistes ? “De vrais bagarres, ils ont accepté de ne pas faire semblant et c’était rude”. La représentation du Bolchoï ? : «Volée au Théâtre des Champs-Elysées par manque de moyens, en accord avec la direction, lors d’un vrai spectacle où on avait envoyé le procureur, François Périer… » Celui-ci tout comme Bernard Fresson, Pierre Dux, Renato Salvatori, Marcel Bozuffi, Georges Géret, Charles Denner, Yves Montand, Jean Bouise… : « Mon Dieu, tous morts désormais tous ces grands, même si le cinéma les garde vivants. Charles, il y mettait une passion, lui… ».z3.jpgz5.jpg La soirée s’acheva tard dans la nuit. Comme si les célébrants avaient du mal à se séparer jusque dans la rue Sina. Certains se promettaient même d’aller voir à nouveau le film dans l’une des trois salles qui viennent de le mettre à l’affiche. Au loin, on percevait déjà les échos répétés des sirènes de police. Rude retour au réel. Soudain, 2009 rattrapait 1969. Depuis minuit, la Grèce était paralysée par la grève générale.


22:32 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : z pierre assouline