17/04/2008
LE DERNIER FRERE
Il existe à l’Île Maurice un cimetière bien entretenu où sont enterrés des Juifs qui n’avaient pas l’intention d’y mourir. En 1940, en route, pleins d’espérance sur l’Atlantic, pour la terre promise, avec, à bord, quelques 1500 personnes, ils ont été refoulés par les Britanniques sur cette île-colonie qui leur appartenait. De cet exil imposé dans un camp au joli nom de Beau-bassin, ils ne connaîtront que la réalité sordide de l’enfermement.
Soudain les boucles de David ont commencé à trembler, ses épaules aussi et il a caché la tête dans ses genoux qu’il avait ramenés sur sa poitrine en s’asseyant. Puis j’ai entendu ses sanglots. Je les connaissais très bien ces pleurs qui font hoqueter, qui font dire doucement aaahh, comme si quelqu’un vous enfonçait lentement, très lentement un couteau dans le cœur, je connaissais très bien ces pleurs qui sortent comme de nulle part, soudain, alors qu’on est pourtant tranquillement assis sur une pelouse grasse et verte et que le soleil chauffe les épaules. Je me suis redressé, une envie terrible de l’appeler, de le réconforter, lui dire comme Anil me disait, arrête de pleurer, ça va aller, ton nez coule et beurk tu avales la morve, ça nous faisait toujours rire de dire cela, tu avales la morve et il rajoutait c’est salé, non ? et, l’instant d’après j’avais oublié mes larmes. Ce jour-là, j’ai fait comme David cette chose qui m’arrivait de temps en temps, un nœud qui se serre soudain au creux de mon ventre, la difficulté de respirer, ces larmes qui montent et contre lesquelles on ne peut rien. J’ai enfoui ma tête dans les feuilles et j’ai pleuré, comme lui à quelques mètres de moi. Extrait p.58
Rien ne prédisposait ces deux enfants à la rencontre, l’un de Prague, l’autre mauricien, l’un blond, l’autre noir ; ni la langue, ni la culture, ni l’espace, encore moins leur histoire respective ne pouvait conduire à cette amitié par delà les mots et les grillages
Un très beau roman, magnifique
un roman du souvenir et de l’absence qui lui vaudra le Prix de La FNAC 2007
Natacha Appanah, journaliste, écrivain. Née à l'île Maurice, Natacha Appanah est journaliste depuis 10 ans. Elle a travaillé pour Le Dauphiné libéré, Le Télégramme de Brest, GEO... Elle collabore aussi régulièrement avec Radio France International et la Radio Suisse Romande. Natacha Appanah a aussi écrit 3 romans : Les rochers de poudre d'or, Blue Bay palace, La Noce d'Anna, aux éditions Gallimard. Elle donne des cours de presse écrite à l'IPJ.
19:39 Publié dans mes livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : coup de coeur
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