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22/01/2011

"Semeur dans le désert"

Un témoignage inédit de Moncef Marzouki : «Même dans le désert, il faut semer»

image 7.jpgComme beaucoup de celles et ceux qui suivent de longue date l'actualité tunisienne, j'avoue que j'ai été surpris par la puissance de la révolte populaire qui a conduit à la fuite sans gloire de Ben Ali. Échangeant à ce sujet avec une amie journaliste qui vit à Londres, Naima Bouteldja, celle-ci m'a signalé ses superbes photos de la manifestation du 15 janvier dernier à Paris, accompagnées des propos du docteur Moncef Marzouki, l'une des grandes figures de l'opposition en exil, qu'elle avait recueillis en mai 2010 à Paris, dans le cadre d'une recherche pour l'université d'Exeter sur les mouvements islamistes en Afrique du Nord.

Interloquée par son énergie, elle lui avait demandé ce qui lui permettait de rester si positif alors que le tableau de la situation politique en Tunisie qu'il dressait apparaissait si sombre...

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La réponse de Moncef Marzouki, que je reproduis ci-après, est à mes yeux admirable. Elle est une clé qui permet de comprendre comment l'obstination et le courage des amis tunisiens engagés de si longue date dans la lutte pour les droits de l'homme, totalement minoritaires, ont joué un rôle décisif dans l'embrasement de décembre en Tunisie : ce sont leurs « graines semées dans le désert » qui ont soudain germé lors d'une « pluie » inattendue, celle de l'implosion des contradictions internes d'une dictature pourrie de l'intérieur par la corruption et le mépris du peuple.

Ce témoignage inédit de l'opposant Moncef Marzouki a une portée universelle. Il est un formidable encouragement à toutes celles et tous ceux qui, partout dans le monde, se battent depuis des années contre l'oppression. Et dans l'indifférence générale des médias dominants, si spontanément accommodants avec tous les « garants de l'ordre ». Des militants comme lui, ils sont beaucoup plus nombreux que l'on croit. Et leur combat n'est pas vain, contrairement au sentiment de découragement que peut trop souvent induire l'échec apparent de ceux qui luttent contre les dictatures apparemment inamovibles, car soutenues par les « puissants du monde ».

Je pense bien sûr d'abord à celles qui ont vérifié avant l'heure l'« axiome de Marzouki » : les mères, puis les grands-mères, de la place de Mai en Argentine, qui se sont mobilisées dans l'indifférence générale pendant près de trois décennies avant de voir fleurir les graines qu'elles avaient semées dans le désert - ce n'est qu'à partir des années 2000 qu'elles ont pu obtenir enfin le jugement des généraux criminels qui avaient enlevé et assassiné leurs enfants et petits-enfants.

Je pense aussi aux mères de « disparus » algériens, victimes dans les années 1990 de la terrible « machine de mort » déchaînée contre leur peuple par les généraux d'Alger, et qui continuent aujourd'hui à se battre pour la vérité et la justice.

C'est pourquoi, au-delà de l'émotion que nous avons été nombreux à éprouver le 15 janvier à l'annonce de la fuite de Ben Ali, au-delà de l'énervement amusé qu'a suscité chez moi le soudain enthousiasme démocratique de médias qui avaient soigneusement boycotté les divers livres dénonçant le régime tunisien publiés à La Découverte depuis une quinzaine d'années, il m'a paru essentiel de restituer ici les paroles de Marzouki (fruit d'une « rétrotraduction » de Naima, qui avait immédiatement traduit en anglais, sa langue de travail, son interview - qu'il nous excuse par avance des approximations qui peuvent en résulter).

Moncef Marzouki, mai 2010.-

« J'ai deux techniques pour rester positif psychologiquement. La première, c'est que je me dis que le temps géologique n'est pas le temps des civilisations, que le temps des civilisations n'est pas celui des régimes politiques et que le temps des régimes n'est pas celui des hommes. Il faut l'accepter. Si je m'engage dans le projet de transformer la Tunisie, vieille de quinze siècles, je ne vais pas la transformer en vingt ans. Je dois donc accepter les échéances de long terme. Et à partir de là, je ne me décourage pas, parce que mon horizon, ce n'est pas les six prochains mois ou la prochaine élection présidentielle : c'est celui des cent prochaines années - que je ne verrai pas, c'est évident.

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« Et l'autre technique vient du fait que je suis un homme du Sud. Je viens du désert et j'ai vu mon grand-père semer dans le désert. Je ne sais pas si vous savez ce que c'est que de semer dans le désert. C'est semer sur une terre aride et ensuite vous attendez. Et si la pluie tombe, vous faites la récolte. Je ne sais pas si vous avez déjà vu le désert après la pluie, c'est comme la Bretagne ! Un jour, vous marchez sur une terre complètement brûlée, ensuite il pleut à peine et ce qui s'en suit, vous vous demandez comment cela a pu se produire : vous avez des fleurs, de la verdure... Tout simplement parce que les graines étaient déjà là... Cette image m'a vraiment marqué quand j'étais enfant. Et, par conséquent, il faut semer ! Même dans le désert, il faut semer !

« Et c'est de cette façon que je vois mon travail. Je sème et s'il pleut demain, c'est bien, sinon au moins les graines sont là, car que va-t-il se passer si je ne sème pas ? Sur quoi la pluie va-t-elle tomber ? Qu'est-ce qui va pousser : des pierres ? C'est l'attitude que j'adopte : semeur dans le désert... »

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Commentaires

Moi j'aurais aimé voir des caravanes au milieu du désert mais hélas je n'en ai jamais vu
bisou bonne fin de semaine

Écrit par : mamita | 22/01/2011

Il ne reste plus qu'à laisser germer ?

En Algérie, les forces démocratiques se réunissent !

Écrit par : Z'Yves | 22/01/2011

Semer dans le désert...comme l'homme de Giono) qui plantait des arbres.
C'est une très belle Note Nöelle que je viendrais relire demain. (Je dois sortir)

Bises et belle fin de semaine.

Écrit par : Louis-Paul | 22/01/2011

@ Aimer et semer...


C'est trés beau mais surtout trés fort ce qu'il dit .Il n'est en fin de compte qu'un maillon dans la durée d'un ou deux siècles.Nos hommes politiques n'ont pas ce discours, tous dans le court terme et l'égo...
Cette personne est raisonnable dans le sens du mot raison.Je vais garder son nom dans un petit coin de ma mémoire.

En tout cas on pourrait avec lui inventer une nouvelle conjugaison du verbe "aimer" à l'indicatif présent.

Ce serait ceci:

J'aime
Tu aimes
Il sème... (lol).

Pierre

Écrit par : Ulm Pierre | 22/01/2011

En la circonstance, c'est Noëlle qui sème puisque le texte est d'un tiers ... Elle aide à ce qu'il soit diffusé plus largement.

Écrit par : simone | 22/01/2011

On va aimer , semer et partager....

Écrit par : noelle | 22/01/2011

Nono ... et si NOUS le faisions ???!! - bonne matinée et bon dimanche !
Doume

Écrit par : Doume | 23/01/2011

Doume, nous le faisons, tous les jours! pas toi ?

Bises

Écrit par : noelle | 23/01/2011

Semer dans le désert ?....Seulement si j'ai une arrivée d'eau ou si je peux l'installer.

J'ai bien compris le "message" mais "moi" petit bonhomme de France je ne saurais pas fonctionner ainsi...

Concernant la civilisation matérielle qui va plus vite que la civilisation morale.....cela fait un bail que c'est intégrer.

Écrit par : alsacop | 23/01/2011

mon message s'adressait à "ON"...
lol
;o)

Écrit par : Doume | 24/01/2011

Je n'avais pas osé souligner la différence ! lol

Écrit par : alsacop | 24/01/2011

Les commentaires sont fermés.