24/01/2008
ETRANGES ETRANGERS
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays loin
cobayes des colonies
Doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou bien du Finisterre
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres
Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d’une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet
Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés
Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd’hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières
On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos
Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez.
Jacques PRÉVERT
«Jacques Prévert ne se considérait pas comme un poète. Il n'a jamais eu, disait-il, une carte de visite avec la mention "poète". Si l'on cherchait à en savoir davantage, il avait coutume de répondre : "La poésie est partout comme Dieu est nulle part. La poésie, c'est un des plus vrais, des plus utiles surnoms de la vie." Dans cet esprit, il écrivit "Étranges étrangers" au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, époque tourmentée où la France dévastée recourait largement à une main-d'oeuvre étrangère - après avoir utilisé les "cobayes des colonies" comme chair à canon - et où une vague xénophobe déferlait sur le pays.»
Hugues Bachelot.
11:05 Publié dans SOLIDARITE | Lien permanent | Commentaires (11)
Commentaires
Il me semble que ce très beau texte a été mis en chanson.
Je suis intriguée par tout ce qui a été dit sur mon blog sur Eric Zemmour : n'est-il pas poutant lui aussi issu de l'émigration ?
Écrit par : Rosa | 25/01/2008
Rosa
je ne connais pas ce texte en chanson, si tu trouves, tu dis?
Eric Zemmour, origine juive pied- noir né en Seine- Saint- Denis, avec tout ce qu'on a raconté tu va être obligée de l'écouter!
Sur les femmes, tu peux l'entendre " Les femmes conduisent quand la vitesse est limitée ; elles fument quand le tabac tue ; elles obtiennent la parité quand la politique ne sert plus à grand-chose; elles votent à gauche quand la Révolution est finie; elles deviennent un argument de marketing littéraire quand la littérature se meurt ; elles découvrent le football quand la magie de mon enfance est devenue un tiroir-caisse.
dernierement il s'est prononcé en faveur de l'amendement Mariani sur les tests ADN....
Écrit par : noelle | 25/01/2008
Comme tu dis, je vais essayer pour ne plus avoir l'air idiote en ne connaissant pas ce monsieur...
Mais réellement à cette heure la télé m'endort...
C'est curieux qu'il soit avec Ruquier, ce n'est pas le genre ni les idées.
Écrit par : Rosa | 25/01/2008
Ce texte de Prévert est génial... Je peux te l'emprunter ? J'ai envie qu'Elle le lise...
Bisou ma Noëlle...
Écrit par : Fabrice | 27/01/2008
Bien sûr Fabrice
bisous
Écrit par : noelle | 27/01/2008
beau texte, je vais acquérir ce livre, je ne l'avais pas, si je le trouve. . .
merci noelle
Écrit par : rony | 01/02/2008
Nous avions eu la même idée. Je te précédai de quelques jours.
À propos, c'est le 13 ou le 14 février ? Je crois bien que c'est le 14 !
Alors...
Écrit par : grapheus tis | 13/02/2008
oui, c'est bien le 14, merci
bisous
Ce poème est très beau et rien n'a changé...
Écrit par : noelle | 14/02/2008
à toi l mimosa du 16 !
Écrit par : grapheus tis | 16/02/2008
"Congé au vent" pour ce soixante-quatrième printemps qui s'annonce !
Écrit par : grapheus tis | 16/02/2008
Merci pour ce mimosa
"À flancs de coteau du village bivouaquent des champs fournis de mimosas. A l'époque de la cueillette, il arrive que, loin de leur endroit, on fasse la rencontre extrêmement odorante d'une fille dont les bras se sont occupés durant la journée aux fragiles branches. Pareille à une lampe dont l'auréole de clarté serait de parfum, elle s'en va, le dos tourné au soleil couchant....."
Écrit par : noelle | 17/02/2008
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