13/04/2008
Les aventures de monmari
Certaines semaines, une chronique hebdomadaire n’y suffit plus. Il faudrait une Médiatiques quotidienne - que dire, une chronique d’information continue, en temps réel - pour arriver à suivre le feu d’artifice d’indignations tonitruantes, d’injonctions émotionnelles, d’irruptions énigmatiques, de dérapages incontrôlés, de tentatives de camouflages plus ou moins réussies, à quoi se résume en ce moment la vie politico-diplomatique. A peine retombée la vague d’indignation nationale sur la banderole antich’tis, voici les deux vagues simultanées d’une manifestation parisienne pour la libération d’Ingrid Betancourt, et de la profanation idiote d’un cimetière d’anciens combattants musulmans. Ministres dépêchés sur place, officiels atterrés, longs travellings sur les stèles souillées, éditorial condamnatoire, en première page, du directeur du Monde. Le lendemain, le pays retient son souffle, en se demandant si des manifestants porteurs de drapeau vont parvenir à éteindre une sorte de briquet sacré, porté par des stars en survêtement, et protégé par des policiers en rollers. Et le lendemain encore, voici qu’étrangement, tous les plateaux de télévision, jusqu’au sanctuaire du 20 heures de TF1, s’ouvrent à des accusations improuvées, mais manifestement terribles, contre l’ensemble du gouvernement, portées par un zozo humanitaire, héros malencontreux de l’affaire dite «de l’arche de Zoé», fraîchement libéré de prison grâce aux efforts de ce même gouvernement.
Indignez-vous ! Mobilisez-vous ! Compatissez ! nous enjoint soir après soir un 20 heures en roue libre qui, depuis que les sondages présidentiels sont en berne, cherche le Nord en tournant sur lui-même, pour ne pas perdre trop de spectateurs. Et sous la triple icône lumineuse de la sainte Trinité du mois (Ingrid Betancourt, le dalaï-lama et Dany Boon), silence, comme d’habitude, sur la mort d’un sans-papiers qui s’est jeté dans la Marne alors qu’il était poursuivi par la police, silence sur l’échec de la politique d’encouragement aux heures supplémentaires du «paquet fiscal» révélé par un rapport parlementaire, silence sur les caisses vides, silence sur la fin de la carte famille nombreuse (à l’heure où ces lignes sont écrites, l’opération étouffoir semble pourtant avoir échoué, et l’embrasement menace), silence sur les repas sautés, silence sur l’impuissance, silence sur le crissement sinistre du rabot à économies, partout à l’œuvre.
Dans ce festival, la palme de l’injonction énigmatique restera peut-être à la manifestation pour la libération d’Ingrid Betancourt, ayant rassemblé, dimanche dernier dans les rues de Paris, quelques milliers de personnes, pas moins de quatre ministres, et jusqu’à l’épouse présidentielle qui, entre deux gardes du corps, lance au vol à la télé «mon mari ne renoncera jamais». Une bien belle manif. Nul doute que les Farc, et le président colombien Uribe, téléspectateurs réguliers du 20 heures de TF1, en auront été fort impressionnés, et auront accéléré immédiatement les préparatifs de libération.
Puisqu’il faut bien s’arrêter quelque part, arrêtons-nous sur ce délicieux «mon mari». On le sent bien, c’est un compromis, résultant de plusieurs impossibilités. Elle pourrait dire «le Président» : trop solennel. Elle pourrait dire «Nicolas» : trop familier. Ce sera donc «Monmari», appellation en apparence si neutre, si peu connotée, douce et suave comme le refrain d’une chanson sussurée. Ce nouveau personnage de la comédie quotidienne (inauguré à l’occasion de l’affaire du SMS, lors de laquelle la dame avait informé l’univers que «mon mari vient de retirer sa plainte»), est une trouvaille, et rappelle un souvenir.
Dans les années 60, le Canard enchaîné avait créé le personnage hebdomadaire de Mongénéral. Mongénéral, c’était de Gaulle vu (et redouté) par ses grognards au garde à vous, ses fidèles transis, ses ministres au rapport, ses «godillots» de toutes pointures, comme on les appelait alors.
En quarante ans, on sera donc passé de Mongénéral à Monmari. Les possibilités sont vastes. Explorons-en quelques-unes. Monmari ne renoncera jamais. Monmari fera toujours arracher les banderoles infâmes. Monmari portera plainte contre les journaux, mais avec modération. Monmari expulsera humainement les sans-papiers (sauf ceux qui se seront jetés dans la Marne entre-temps). Monmari ira chercher la croissance avec les dents. Monmari terrassera les talibans, mais dans le respect des droits de l’homme. Monmari supprimera la carte familles nombreuses, sans léser les familles, et les billets congés payés, sans léser les vacanciers. Monmari bannira les OGM (ou presque). Monmari ira à la cérémonie d’ouverture de Pékin, mais sans inhaler la fumée. Monmari renouvellera toute sa confiance à Rama et Nathalie, mais en les faisant taire. Etc. Etc.
15:46 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nicolas sarkosy
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