25/11/2015
Regardez-les, ces hommes et ces femmes.....
Regardez-les, ces hommes et ces femmes qui marchent dans la nuit.
Ils avancent en colonne, sur une route qui leur esquinte la vie.
Ils ont le dos voûté par la peur d’être pris
Et dans leur tête,
Toujours,
Le brouhaha des pays incendiés.
Ils n’ont pas mis encore assez de distance entre eux et la terreur.
Ils entendent encore les coups frappés à leur porte,
Se souviennent des sursauts dans la nuit
.
Regardez-les.
Colonne fragile d’hommes et de femmes
Qui avance aux aguets,
Ils savent que tout est danger.
Les minutes passent mais les routes sont longues.
Les heures sont des jours et les jours des semaines.
Les rapaces les épient, nombreux.
Et leur tombent dessus,
Aux carrefours.
Ils les dépouillent de leurs nippes,
Leur soutirent leurs derniers billets.
Ils leur disent : « Encore »,
Et ils donnent encore.
Ils leur disent : « Plus ! »,
Et ils lèvent les yeux ne sachant plus que donner.
Misère et guenilles,
Enfants accrochés au bras qui refusent de parler,
Vieux parents ralentissant l’allure,
Qui laissent traîner derrière eux les mots d’une langue qu’ils seront contraints d’oublier.
Ils avancent,
Malgré tout,
Persévèrent
Parce qu’ils sont têtus.
Et un jour enfin,
Dans une gare,
Sur une grève,
Au bord d’une de nos routes,
Ils apparaissent.
Honte à ceux qui ne voient que guenilles.
Regardez bien.
Ils portent la lumière
De ceux qui luttent pour leur vie.
Et les dieux (s’il en existe encore)
Les habitent.
Alors dans la nuit,
D’un coup, il apparaît que nous avons de la chance si c’est vers nous qu’ils avancent.
La colonne s’approche,
Et ce qu’elle désigne en silence,
C’est l’endroit où la vie vaut d’être vécue.
Il y a des mots que nous apprendrons de leur bouche,
Des joies que nous trouverons dans leurs yeux.
Regardez-les,
Ils ne nous prennent rien.
Lorsqu’ils ouvrent les mains,
Ce n’est pas pour supplier,
C’est pour nous offrir
Le rêve d’Europe
Que nous avons oublié.
Laurent Gaudé, écrivain
Une photo, Mikael Kalatosow et "l'oeil de Reza"
Reza et Laurent Gaudé au Au camp de réfugiés de Kawergosk
10:03 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : un poème, laurent gaudé
Commentaires
Le rêve d’Europe que nous avons oublié...Très beau texte et illustrations. Je t'embrasse Noëlle.
Écrit par : Louis-Paul | 25/11/2015
Très beau et émouvant ce texte!
Écrit par : Solange | 25/11/2015
Très beau et émouvant ce texte!
Écrit par : Solange | 25/11/2015
Comment allons-nous les accueillir tous ces migrants ? Tristesse. Bises Noëlle, très beau texte.
Écrit par : danae | 27/11/2015
Des mots durs et nécessaires. Ils avancent dans une Europe oubliée mais qui ne manque pas de se revendiquer Chrétienne!
Écrit par : Alezandro | 28/11/2015
...pas de mots... Beau billet Noëlle. Je t'embrasse
Écrit par : eva | 30/11/2015
Un texte magnifique et poignant... Merci Noëlle.
Écrit par : Françoise | 17/12/2015
Émouvant...
bises
Écrit par : rony | 19/01/2016
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