10/06/2010
j'ai aimé
Le dernier roman de Louis- Sepulveda
L'Ombre de ce que nous avons été
"Sepulveda, conteur sans frontières, révolté au grand coeur, chasse haine et nostalgie et nous revient avec une histoire vitaminée, à la narration cocasse, entre polar déjanté et fable politique, et suggère une interrogation sans fin : qu'avons-nous fait de nos utopies ? Qu'avons-nous fait de nous-mêmes ?
« Rendez-vous d'amour dans un pays en guerre. » Une phrase que l'on ne se lasse pas de lire tant elle dit l'impossible, tant elle donne, malgré tout, à rêver, espérer. Une phrase qui va à merveille à l'écrivain Luis Sepúlveda - elle fait d'ailleurs le titre d'un de ses recueils de nouvelles, paru en 1997 - et qui pourrait être la quintessence de son oeuvre, quinze livres à ce jour, dont le tout nouveau roman à l'intitulé non moins poétique, L'Ombre de ce que nous avons été.
Nul doute que l'écrivain chilien, qui connut les geôles de Pinochet, l'exil, l'errance d'un pays à l'autre, aimerait encore imaginer des histoires d'amour, ne serait-ce que pour faire plaisir à son « vieux », celui « qui lisait des romans d'amour » (son premier roman, publié en 1992) et ravir encore ses lecteurs. Mais le temps qui passe, même chargé de voyages, de rencontres, et d'écriture, ne peut cicatriser les fêlures.
Refusant de s'apitoyer sur son sort, ses blessures, celles de tant d'hommes et de femmes, Luis Sepúlveda, pour qui la littérature est existence et résistance, convoque le passé, l'humour et l'amitié. Il offre au désenchantement révolutionnaire, aux illusions perdues toujours à fleur de peau une intrigue ludique qui, mine de rien, sans manichéisme, oblige à se souvenir, oblige à méditer. Soit les retrouvailles à Santiago, plus de trente-cinq ans après le coup d'Etat de Pinochet du 11 septembre 1973, de trois types plutôt sympathiques, ex-militants de gauche, cassés par la défaite et l'exil.
Sepúlveda et ses personnages ont vieilli, ils frôlent la soixantaine, mais n'ont pas renoncé. Ils attendent le cerveau politique, dit « le Spécialiste ». Avant de jeter l'éponge - admettre l'Histoire, ce qu'elle a changé dans leur destin, corps et âme - , la joyeuse bande de revenants va concocter une dernière action (improbable...). Retrouver la dignité, la fortune... la fougue de leur jeunesse, peut-être.
L'écrivain, coquin incorrigible, imagine pour eux - pour lui - des situations loufoques, entrecoupées de dialogues absurdes et truculents, d'où émergent des vérités oubliées, des monceaux de poésie. Dans une même foulée, diablement rythmée, cohabitent du pur jus révolutionnaire et de l'émotion, une espèce de tendresse subversive.
Il ose ressusciter des répliques refoulées (« Comme l'a dit le camarade Lénine, les hommes ne peuvent pas corriger les choses du passé mais ils peuvent anticiper celles de l'avenir ») et raille la mélancolie. Luis Sepúlveda ne renie rien. Aujourd'hui encore, l'auteur du facétieux Journal d'un tueur sentimental (1998) nous donne rendez-vous avec l'amour, dans un roman en guerre contre l'oubli."
Telerama n° 3132 - 23 janvier 2010
20:30 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : livre, luis sepulveda, l'ombre de ce que nous avons été