27/04/2009
TOUT PARLE
Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi
Tout parle ? Écoute bien. C'est que vents, ondes, flammes
Arbres, roseaux, rochers, tout vit !Tout est plein d'âmes.
Tout parle ; l'air qui passe et l'alcyon qui vogue,
Le brin d'herbe, la fleur, le germe, l'élément.
T'imaginais-tu donc l'univers autrement ?
Crois-tu que Dieu, par qui la forme sort du nombre,
Aurait fait à jamais sonner la forêt sombre,
L'orage, le torrent roulant de noirs limons,
La mouche, le buisson, la ronce où croît la mûre,
Et qu'il n'aurait rien mis dans l'éternel murmure ?
Crois-tu que l'eau du fleuve et les arbres des bois,
S'ils n'avaient rien à dire, élèveraient la voix ?
Prends-tu le vent des mers pour un joueur de flûte ?
Crois-tu que l'océan, qui se gonfle et qui lutte,
Serait content d'ouvrir sa gueule jour et nuit
Pour souffler dans le vide une vapeur de bruit,
Et qu'il voudrait rugir, sous l'ouragan qui vole,
Si son rugissement n'était une parole ?
Crois-tu que le tombeau, d'herbe et de nuit vêtu,
Ne soit rien qu'un silence ? et te figures-tu
Que la création profonde, qui compose
Sa rumeur des frissons du lys et de la rose,
De la foudre, des flots, des souffles du ciel bleu,
Ne sait ce qu'elle dit quand elle parle à Dieu ?
Crois-tu qu'elle ne soit qu'une langue épaissie ?
Crois-tu que la nature énorme balbutie,
Et que Dieu se serait, dans son immensité,
Donné pour tout plaisir, pendant l'éternité,
D'entendre bégayer une sourde-muette ?
Non, l'abîme est un prêtre et l'ombre est un poète ;
Non, tout est une voix et tout est un parfum ;
Tout dit dans l'infini quelque chose à quelqu'un ;
Une pensée emplit le tumulte superbe.
Dieu n'a pas fait un bruit sans y mêler le Verbe.
Tout, comme toi, gémit ou chante comme moi ;
Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi
Tout parle ? Écoute bien. C'est que vents, ondes, flammes
Arbres, roseaux, rochers, tout vit !Tout est plein d'âmes.
Hugo, Les Contemplations,
11:45 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poesie victor hugo les contemplations
18/02/2009
CHANTEZ
Boris Vian, figure mythique du Paris d’après-guerre
Boris Vian, le swing et le verbe
de Nicole Bertolt, Marc Lapprand et François Roulmann
"Ce livre swingue comme un air de jazz, retraçant la partition époustouflante des talents multiples de Vian : joueur de trompette, fin jazzologue écrivant pour les revues les plus prestigieuses, auteur-compositeur d'opéra, Vian passe de la lettre à la note avec une virtuosité que ce livre permet de redécouvrir en rapprochant, traces et documents à l'appui, tous les champs de la création dont il a arpenté et enjambé les frontières. L'écriture romanesque est également musicale chez Vian, dans le rythme de l'écriture des romans comme dans les allusions explicites ou pas. Composé principalement d'archives personnelles et d'inédits, 'La Lettre et la note' redonne à Boris Vian le rôle de sémaphore qui a été le sien dans les années 1950."
L'autobus vous passe sous le nez
Une grosse dame vous marche sur les pieds
Votre petite amie s'envole
Avec ce salaud de Paul
En laissant des cheveux plein l'évier
Au bistro, le café n'est pas bon
Au bureau, ça ne tourne par rond
Et votre meilleur copain
Au lieu d'avoir du chagrin
Il se marre et vous traite de... tsoin... tsoin... tsoin...
Ah, comme la vie serait triste
Triste, triste, triste
Ah, comme la vie serait triste
Si l'on ne pouvait pas chanter
Chantez des javas canailles
Que de gros durailles
Dansent à Robinson
Dansez des javas célestes
En tombant la veste
A Mimi Pinson
Les journaux sont pleins de cauchemars
On se tue du matin jusqu'au soir
La police est sur les dents
Celles des autres évidemment
L'honnêteté se vend au marché noir
On annonce la hausse des rognons
On dénonce la peau sur les oignons
Soyons fermes mes amis
Je ferai baisser les prix
Mais d'abord, donnez votre pognon...
Ah, comme la vie serait triste
Triste, triste, triste
Ah, comme la vie serait triste
Si l'on ne pouvait pas chanter
Chantez sur la mer calme
Sur le Père Lachaise
Et la fille Angot
Magali, viens sous la ramée
Tradition française
Chanson à gogo
On vous dit: la guerre est terminée
Célébrons le règne de la Paix
Embrassons nos agresseurs
C'est des frères et c'est des soeurs
C'est fini! On se battra plus jamais
Le lendemain, sur le coup de midi
L'oeil féroce, de gros barbus s'écrient
Mourir quand on a vingt ans
C'est un destin épatant
Tous aux armes, et sus à l'ennemi
Ah, comme la vie serait triste
Triste, triste, triste
Ah, comme la vie serait triste
Si l'on ne pouvait pas chanter
Chantez les joyeux compères
Qui déclarent la guerre
Et qui n'y vont pas
Chantez la prochaine dernière
Et les réverbères
Où on les pendra...
14:50 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : boris vian
08/01/2009
Pense aux autres
Mahmoud Darwich était la voix de la Palestine, mais pas seulement. Il était la voix de tous ceux qui luttent pour leur identité et leur survie. Sa voix ne s’est pas éteinte : elle est maintenant universelle.
Un poème de Mahmoud Darwich :
“Quand tu prépares ton petit-déjeuner,/ pense aux autres. (N’oublie pas le grain aux colombes.)/Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres./ (N’oublie pas ceux qui réclament la paix.) / Quand tu règles la facture d’eau, pense aux autres./ (Qui tètent les nuages.)/ Quand tu rentres à la maison, ta maison,/ pense aux autres./ (N’oublie pas le peuple des tentes.)/Quand tu comptes les étoiles pour dormir,/ pense aux autres./ (Certains n’ont pas le loisir de rêver.)/ Quand tu te libères par la métonymie,/ pense aux autres./ (Qui ont perdu le droit à la parole.)/ Quand tu penses aux autres lointains,/ pense à toi./ (Dis-toi : Que ne suis-je une bougie dans le noir?)
20:26 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : un poème de mahmoud darwich :
26/12/2008
DEVANT LA PORTE DE L'USINE....
Devant la porte de l'usine
le travailleur soudain s'arrête
le beau temps l'a tiré par la veste
et comme il se retourne
et regarde le soleil
tout rouge tout rond
souriant dans son ciel de plomb
il cligne de l'œil
familièrement
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c'est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron ?
20:40 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : poesie jacques prevert
19/12/2008
Il est grand temps de rallumer les étoiles
"Ces heures de haine
Et d’amertume
Où l’on ne sait à quel saint se vouer
Quel Dieu prier
Puisque tout paraît vide
Et que les êtres
Ont perdu sens et l’équilibre
Les petits hommes éteignent les flambeaux
Et font de l’ombre sur la terre
Il est grand temps
Grand temps vous dis-je
De rallumer les étoiles"
Gary KLANG
13:31 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poesie
11/11/2008
Assis sur un banc
LE DESESPOIR EST ASSIS SUR UN BANC
Dans un square sur un banc
Il y a un homme qui vous appelle quand on passe
Il a des binocles un vieux costume gris
Il fume un petit ninas il est assis
Et il vous appelle quand on passe
Ou simplement il vous fait signe
Il ne faut pas le regarder
Il ne faut pas l'écouter
Il faut passer
Faire comme si on ne le voyait pas
Comme si on ne l'entendait pas
Il faut passer et presser le pas
Si vous le regardez
Si vous l'écoutez
Il vous fait signe et rien personne
Ne peut vous empêcher d'aller vous asseoir près de lui
Alors il vous regarde et sourit
Et vous souffrez atrocement
Et l'homme continue de sourire
Et vous souriez du même sourire
Exactement
Plus vous souriez plus vous souffrez
Atrocement
Plus vous souffrez plus vous souriez
Irrémédiablement
Et vous restez là
Assis figé
Souriant sur le banc
Des enfants jouent tout près de vous
Des passants passent
Tranquillement
Des oiseaux s'envolent
Quittant un arbre
Pour un autre
Et vous restez là
Sur le banc
Et vous savez vous savez
Que jamais plus vous ne jouerez
Comme ces enfants
Vous savez que jamais plus vous ne passerez
Tranquillement
Comme ces passants
Que jamais plus vous ne vous envolerez
Quittant un arbre pour un autre
Comme ces oiseaux.
Jacques Prevert
20:20 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : jacques prévert poésie paroles(1945)
11/08/2008
"PENSE AUX AUTRES"
“Quand tu prépares ton petit-déjeuner,/ pense aux autres. (N’oublie pas le grain aux colombes.)
Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres./ (N’oublie pas ceux qui réclament la paix.)
Quand tu règles la facture d’eau, pense aux autres./ (Qui tètent les nuages.)
Quand tu rentres à la maison, ta maison,/ pense aux autres./ (N’oublie pas le peuple des tentes.)
Quand tu comptes les étoiles pour dormir,/ pense aux autres./ (Certains n’ont pas le loisir de rêver.)
Quand tu te libères par la métonymie,/ pense aux autres./ (Qui ont perdu le droit à la parole.)
Quand tu penses aux autres lointains,/ pense à toi./ (Dis-toi : Que ne suis-je une bougie dans le noir?)
Mahmoud Darwich, l’un des plus grands poètes de langue arabe
Mahmoud Darwich s'est éteint ce samedi à l'âge de 67 ans
Mahmoud Darwich dénonçait l’occupation israélienne des territoires palestiniens mais aussi les combats entre Hamas et Fatah, une “tentative publique de suicide”.
Pour la députée palestinienne Hanane Achraoui, “il a débuté comme un poète de la résistance puis est devenu un poète de la conscience. Il incarnait le meilleur des Palestiniens , Même lorsqu’il est devenu une icône, il n’a jamais perdu son sens de l’humanité. Nous avons perdu une partie de notre être”.
10:04 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : darwich
07/05/2008
LES GENETS
Les genêts, doucement balancés par la brise,
Sur les vastes plateaux font une houle d'or ;
Et, tandis que le pâtre, à leur ombre s'endort,
Son troupeau va broutant cette fleur qui le grise...
Cette fleur toute d'or, de lumière, et de soie
En papillon, posée au bout des brins menus
Et dont les lourds parfums semblent être venus
De la plage lointaine où le soleil se noie...
Certes, j'aime les prés où chantent les grillons
Et la vigne pendue aux flancs de la colline
Et les champs de bleuets sur qui le blé s'incline
Comme sur des yeux bleus tombent des cheveux blonds...
Mais je préfère aux prés fleuris, aux grasses prairies
Aux coteaux où la vigne étend ses pampres verts,
Les sauvages sommets de genêts recouverts,
Qui font au vent d'été de si fauves haleines....
(Recueil : Fleurs de genêts ) François Fabié
11:53 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (9)
30/04/2008
Laurent Terzieff
le crucifié des hautes paroles
« On n’éclaire pas sans brûler » disait Nicolas de Staël, et Laurent, immense charbon noir, aura tant et tant brûlé pour nous faire lumière et nous apporter le feu volé aux dieux et surtout à la nuit.
Emacié comme un christ flamand, avec son sourire fait des ronces des douleurs du monde, il semble toujours faire sacrifice de lui-même pour que les hautes paroles des poètes ne restent pas cachées dans leurs hautes solitudes.
« Se mettre à l'écoute du monde, pour en être la caisse de résonance ». telle aura été sa trajectoire aveuglante, calciné lui-même, il dépose avec son sourire déchiré son amoureuse sagesse.
Derrière les carreaux, le vent fait danser des ombres lentes.
Les visages n’osent plus apparaître, ils sont sans doute éteints depuis si longtemps, Laurent leur redonne vie à ces enfants de Malte Laurids Brigge de Rilke, à ceux des demeures enfouies sous les orties et les violettes de Milosz, à ceux des forêts froides de Berthold Brecht.
Laurent Terzieff est le grand témoin des biefs de la douleur d’être au monde, de ses joies aussi, quand simplement la pluie des mots nous rafraîchit.
« Le monde triste et beau qui ressuscite soudain »
Le cinéma aura bâti une image de lui loin de sa réalité.
Certes Rossellini, Pasolini, Bunuel, Carné, Garrel ce n’est point mineur, mais Laurent Terzieff s’est avant tout voulu acteur de théâtre, adaptateur de textes inconnus en France, metteur en scène et directeur de sa troupe. Passeur en poésie donc, mais aussi en théâtre nous faisant découvrir des auteurs rares avec sa compagnie, fondée contre vents et pas mal de marées dés 1961.
Pour elle il aura accepté des rôles alimentaires, mais l’imposture par le mensonge du cinéma des traits figés du romantique tricheur, il l’aura laissée dans les ornières des apparences.
Claudel, Schisgal, Albee, Saunders, Mrozek, Milosz, Rilke,Pirandello, Harwood, et tant d’autres sont revenus parmi nous grâce à lui.
Mais le plus beau don sera et restera celui de la poésie réincarnée, et il joue seul, maintenant que la douce et lumineuse Pascale de Boysson s’est absentée, un florilège de poèmes. Réconfort, dernier passage, la poésie aura peut-être volé sa mort, mais elle aura sauvé sa vie sa vie.
Ces paroles de Terzieff sur Milosz sont presque autobiographiques
Et je ne peux plus, non, je ne peux plus, je ne peux plus ! »
Cette citation du poème « La charrette », poème qui tient tant à cœur à Laurent, en dit suffisamment sur ce théâtre-miroir, lieu de fusion entre visible et invisible qui fut toute sa vie, elle en dit aussi beaucoup sur l’homme.
Homme à la solitude acceptée et bienvenue, homme libre et désenchanté, Terzieff est ce grand corps troué d’étoiles, posé parmi nous, au doux milieu de nous.
Il nous donne à manger dans sa main le pain noir,le lait et le miel sauvage de la poésie
« Et c’est vous et c’est moi. Vous et moi de nouveau, ma vie ».
Association Esprits Nomades
14:19 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : coup de coeur