30/09/2011
Poesie
Il voulait serrer une plante sur son cœur sans la déraciner
Une toute petite plante lui suffirait en ce soir sinistre où il cuve dans son fût tous les malheurs du monde
Il voudrait serrer une plante sur son cœur sans la déraciner
Une toute petite plante lui suffirait mais comment faire ?
Il ne pourrait l'élever sans l'arracher à son sol vital
Il ne pourrait se rouler sur elle sans l'écraser grossièrement
Et c'est une plante qu'il lui faudrait dans toute son innocence avec sa tige souple ses feuilles amènes et peut-être même une fleur
Mais naturellement il souhaite vivement qu'elle ne soit pas carnivore
Souhait gratuit s'il en fut car il ne trouve aucune plante à serrer sur son cœur
en ce soir sinistre où il cuve dans son fût tous les malheurs du monde
Extrait de "Courir les rues, battre la campagne, fendre les flots", Gallimard.
Raymond queneau
00:24 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : poesie, raymond queneau
14/06/2011
La grasse matinée
Il est terrible
le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim
elle est terrible aussi la tête de l'homme
la tête de l'homme qui a faim
quand il se regarde à six heures du matin
dans la glace du grand magasin
une tête couleur de poussière
ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde
dans la vitrine de chez Potin
il s'en fout de sa tête l'homme
il n'y pense pas
il songe
il imagine une autre tête
une tête de veau par exemple
avec une sauce de vinaigre
ou une tête de n'importe quoi qui se mange
et il remue doucement la mâchoire
doucement
et il grince des dents doucement
car le monde se paye sa tête
et il ne peut rien contre ce monde
et il compte sur ses doigts un deux trois
un deux trois
cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé
et il a beau se répéter depuis trois jours
Ça ne peut pas durer
ça dure
trois jours
trois nuits
sans manger
et derrière ce vitres
ces pâtés ces bouteilles ces conserves
poissons morts protégés par les boîtes
boîtes protégées par les vitres
vitres protégées par les flics
flics protégés par la crainte
que de barricades pour six malheureuses sardines..
Un peu plus loin le bistrot
café-crème et croissants chauds
l'homme titube
et dans l'intérieur de sa tête
un brouillard de mots
un brouillard de mots
sardines à manger
oeuf dur café-crème
café arrosé rhum
café-crème
café-crème
café-crime arrosé sang !...
Un homme très estimé dans son quartier
a été égorgé en plein jour
l'assassin le vagabond lui a volé
deux francs
soit un café arrosé
zéro franc soixante-dix
deux tartines beurrées
et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
Jacques Prévert
09:02 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : prévert, un poème, la grasse matinée
24/05/2011
Un poème
La belle au bois dormant
p.Verlaine
La Belle au Bois dormait. Cendrillon sommeillait.
Madame Barbe-bleue ? elle attendait ses frères ;
Et le petit Poucet, loin de l'ogre si laid,
Se reposait sur l'herbe en chantant des prières.
L'Oiseau couleur-du-temps planait dans l'air léger
Qui caresse la feuille au sommet des bocages
Très nombreux, tout petits, et rêvant d'ombrager
Semaille, fenaison, et les autres ouvrages.
Les fleurs des champs, les fleurs innombrables des champs,
Plus belles qu'un jardin où l'Homme a mis ses tailles,
Ses coupes et son goût à lui, - les fleurs des gens ! -
Flottaient comme un tissu très fin dans l'or des pailles,
Et, fleurant simple, ôtaient au vent sa crudité,
Au vent fort, mais alors atténué, de l'heure
Où l'après-midi va mourir. Et la bonté
Du paysage au cœur disait : Meurs ou demeure !
Les blés encore verts, les seigles déjà blonds
Accueillaient l'hirondelle en leur flot pacifique.
Un tas de voix d'oiseaux criait vers les sillons
Si doucement qu'il ne faut pas d'autre musique...
Peau d'Ane rentre. On bat la retraite - écoutez ! -
Dans les Etats voisins de Riquet-à-la-Houppe,
Et nous joignons l'auberge, enchantés, esquintés,
Le bon coin où se coupe et se trempe la soupe !
Un extrait du recueil "Amour"
15:26 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : p. verlaine, un poème
11/05/2011
Pierre Lachambeaudie
1806-1872
Pierre Lachambeaudie, poète, fabuliste et chansonnier
Avant la Révolution de février 1848, il appartenait au groupe des saint-simoniens. Ses fables populaires, publiées en 1839, traduisent ses fortes convictions démocratiques. Il devint par la suite un ardent défenseur du prolétariat et mit sa poésie au service de la liberté et de la justice. Son poème La pauvreté c’est l’esclavage, publié quelques semaines après l’insurrection de juin 1848, sous la terreur, fit sensation.
Liberté ! Liberté ! Mot sonore, doux songe
Que vingt siècles encor n'ont pu réaliser !
Si tu veux que ce mot ne soit plus un mensonge,
Peuple, c'est le travail qu'il faut organiser.
Tant que tu traîneras de rivage en rivage
Le boulet du mépris et de la pauvreté
Ne parle pas de liberté:
La pauvreté, c'est l'esclavage.
Tu marches à coté de ce conscrit novice?
Grognard, dans tes foyers je te croyais rendu...
-Pour le fils d'un banquier j'ai repris du service:
Hélas ! c'est par besoin que je me suis vendu.
-Toi qui sous les drapeaux sers après ton jeune âge.
Homme trop généreux par un lâche exploité,
Ne parle pas de Liberté:
La pauvreté, c'est l'esclavage.
Le pauvre, en ses haillons, sait bien qu'il n'est pas libre,
Lorsqu'il passe courbé près des riches hautains.
Seul le travail viendra rétablir l'équilibre
Entre les deux plateaux de nos divers destins.
,Mais tant que pauvre et riche, en un duel sauvage
Déchireront tes flancs, vieille société,
ne parle pas de liberté:
La pauvreté, c'est l'esclavage
"Pierre s'indigne aussi face à l'injustice de l'organisation du service militaire qui permet aux riches ou aux lâches de se faire remplacer par des conscrits pauvres en échange d'une somme d'argent. Ces soldats, contraints d'accepter ce marché à cause de leur pauvreté devront rester quatorze années sous les armes au lieu de sept.
extrait de " Pierre Lachambeaudie" de Jean- Michel Faure
11:37 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : poesie, politique, pierre lachambeaudie
05/05/2011
Un poème
Le chat et l’oiseau
Jacques Prévert
Un village écoute désolé
Le chant d'un oiseau blessé
C'est le seul oiseau du village
Et c'est le seul chat du village
Qui l'a à moitié dévoré
Et l'oiseau cesse de chanter
Le chat cesse de ronronner
Et de se lécher le museau
Et le village fait à l'oiseau
De merveilleuses funérailles
Et le chat qui est invité
Marche derrière le petit cercueil de paille
Où l'oiseau mort est allongé
Porté par une petite fille
Qui n'arrête pas de pleurer
Si j'avais su que cela te fasse tant de peine
Lui dit le chat
Je l'aurais mangé tout entier
Et puis je t'aurais raconté
Que je l'avais vu s'envoler
S'envoler juqu'au bout du monde
Là-bas où c'est tellement loin
Que jamais on en revient
Tu aurais eu moins de chagrin
Simplement de la tristesse et des regrets
Il ne faut jamais faire les choses à moitié."
06:00 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : prévert, le chat et l'oiseau
22/04/2011
Je te l'ai dit
Je te l'ai dit pour les nuages
Je te l'ai dit pour l'arbre de la mer
Pour chaque vague pour les oiseaux dans les feuilles
Pour les cailloux du bruit
Pour les mains familières
Pour l'oeil qui devient visage ou paysage
Et le sommeil lui rend le ciel de sa couleur
Pour toute la nuit bue
Pour la grille des routes
Pour la fenêtre ouverte pour un front découvert
Je te l'ai dit pour tes pensées pour tes paroles
Toute caresse toute confiance se survivent.
Paul Éluard
09:55 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (52) | Tags : poesie, paul eluard, je te l'ai dit
10/04/2011
Un poème
Quartier libre
Jacques Prévert
J’ai mis mon képi dans la cage
et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête
Alors
on ne salue pas
a demandé le commandant
Non
on ne salue pas
a répondu l’oiseau
Ah bon
excusez-moi je croyais qu’on saluait
a dit le commandant
Vous êtes excusé
tout le monde peut se tromper
a dit l’oiseau
11:01 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poeme jacques prevert
31/03/2011
Monsieur Prudhomme
Monsieur Prudhomme
Il est grave : il est maire et père de famille.
Son faux-col engloutit son oreille. Ses yeux
Dans un rêve sans fin flottent, insoucieux,
Et le printemps en fleur sur ses pantoufles brille
Que lui fait l'astre d'or, que lui fait la charmille
Où l'oiseau chante à l'ombre, et que lui font les cieux,
Et les prés verts et les gazons silencieux?
Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille
Avec Monsieur Machin, un jeune homme cossu.
Il est juste milieu, botaniste et pansu.
Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,
Ces fainéants barbus mal peignés, il les a
Plus en horreur que son éternel coryza,
Et le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles.Paul VERLAINE, Poèmes saturniens (1866)
Un chant Social, premier poème publié par Verlaine, alors âgé de 19 ans....
00:20 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : paul verlaine, monsieur prudhomme
29/03/2011
Un poème
Mon rêve familier
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l'ignore.
Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Paul Verlaine (Poèmes saturniens)
00:53 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : poème, paul verlaine, mon rêve familier
22/03/2011
Bien placés...
Bien placés . . .
Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kékchose d’extrême
un poème
(Raymond Queneau)
Un poème c’est bien peu de chose
à peine plus qu’un cyclone aux Antilles
qu’un typhon dans la mer de Chine
un tremblement de terre à Formose
Une inondation du Yang Tse Kiang
ça vous noie cent mille Chinois d’un seul coup
vlan
ça ne fait même pas le sujet d’un poème
Bien peu de chose
On s’amuse bien dans notre petit village
on va bâtir une nouvelle école
on va élire un nouveau maire et changer les jours de marché
on était au centre du monde on se trouve maintenant
près du fleuve océan qui ronge l’horizon
Un poème c’est bien peu de chose.
13:30 Publié dans poesie | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : raymond queneau, poèmes